EXPOSITION ANNE-CATHERINE CARON
« Contrairement à de très nombreux artistes contemporains, Anne-Catherine Caron n’a jamais attribué à l’objet, aux supports ou à l’outillage la capacité de pouvoir bouleverser la forme esthétique. Dès sa rencontre, en 1972, avec Isou et le Lettrisme, s’est imposé à elle la conception de la prévalence absolue de cette dernière sur les autres dimensions de l’art qui se révélaient interchangeables. C’est donc dans la compréhension d’un intérêt secondaire, para-esthétique, de l’infra-structure matérielle, mécanique, à partir de laquelle Isou forgera la Méca-esthétique intégrale, qu’elle accomplira son oeuvre, axée, avant tout, et comme il se doit, sur l’exploration combinatoire des signes de la communication visuelle, offerte par l’Hypergraphie, et des signes virtuels dévoilés par l’Art infinitésimal ou imaginaire. Ces secteurs esthétiques majeurs enregistrent ses propositions ténues, hermétiques et reconnaissables, tantôt plaquées sur des toiles, tantôt réparties en fonction des exigences de la narration, mais toujours définies comme des « romans ». Son Roman à équarrir, de 1978, en établit la recension qu’elle réorganise autour d’une mise en abyme du concept prosodique. Raréfaction des éléments, persiflage, moquerie, absurdités volontaires, répétitions, caractérisent ce tour de force stylistique qui semble être dépossédé de début autant que de fin. C’est donc dans la rigueur de la continuité de cette voie que le Roman lettriste de la Villa Cernigliaro qu’elle nous propose aujourd’hui doit être vu et considéré.
(…) Ce nouveau roman d’Anne-Catherine Caron reprend ces principes et, d’une certaine manière, part d’eux, mais s’en éloigne en tant, non seulement qu’il les concrétise, mais surtout qu’il les développe dans un enchaînement personnalisé, avec ses propres éléments et une rythmique particulière, inusitée. Si le roman d’Isou devait se dérouler dans la rue, le sien se déploie à travers de multiples salles d’une demeure, mais il ne se réduit pas à ce seul début.
Cette fois, ce sont quatorze réalisations incarnant autant de chapitres distincts disséminés en différentes parties de la Villa qui en assurent l’articulation. Chacun est attaché à un « objet » utilitaire - non esthétique - dont on saisit d’emblée qu’ils sont tous d’un autre âge : celui du temps où la Villa voyait le notaire Cernigliaro, sa famille et son entourage s’activer dans le luxe et la mondanité ; autant d’objets, dis-je, sans doute inutilisables aujourd’hui - comme la calèche, qui semble être la célèbre « pill-box » d’origine américaine, le vieux réfrigérateur, le piano, les masques anti-gaz, le landau, la bouette, le grand drapeau portant encore armes de la Maison de Savoie, un secrétaire ayant appartenu à l’intellectuel résistant Antonicelli, des vêtements maternels, etc. -, mais conservés par l’une des filles du notaire, Carlotta, l’actuelle propriétaire, dans leur vaste cantina comme des souvenirs de son enfance dont elle ne serait jamais parvenue à se séparer.
C’est ce choix de « reliques » qu’Anne-Catherine Caron, avec leur histoire, reprend en son roman. Elle les reprend telles qu’elles sont, nécessairement en l’état usagé qui est le leur aujourd’hui, afin de n’en retenir que les trois dimensions de leur valeur idéographique. C’est précisément cette qualification syntaxique qui différencie ses objets des objets - ready-made - de Marcel Duchamp et de ses innombrables successeurs actuels qui, outre le fait qu’ils se situent uniquement dans l’art plastique – et non dans l’art de la prose – réduisent, superposent, en fin de ciselant, la forme esthétique épuisée à la simple présentation d’une réalité comprise comme ne pouvant plus être représentée. Dans ce dont nous parlons ici, la forme esthétique est autre, de nature hypergraphique au sein de laquelle l’objet réel ne peut, au mieux, n’exprimer qu’un signe ou un simple support, sinon, en un même temps, les deux. (…) Le motif du roman, ici posé comme « fiction », renvoie à ces souvenirs. Comme traces anamnestiques organiquement liées à cette demeure, à ses occupants, et comme des accompagnants nostalgiques, ils s’imposent à Anne-Catherine Caron pour définir le thème de sa narration tridimensionnelle. Ce perçu de « recherche du temps perdu » et les objets qui les suggèrent, non esthétiques en eux-mêmes, sont sublimés, portés au haut rang de l’art, du fait qu’ils sont, chacun à leur tour, donnés en relation avec une part formelle traduite sur autant de toiles destinées à prendre une place précise - sur ou dessus, dedans, à côté, etc. - des objets considérés. Ces compléments aux dimensions et à l’apparence de cartels sont les marqueurs d’une esthétique qui cernent le contour de l’oeuvre par l’absorption immédiate de ce qui était d’un autre registre. Le pouvoir d’accaparement du système hypergraphique est tel qu’il mue en signes tout ce qu’il touche. En même temps, comme un métalangage, leur configuration associe les évocations de l’occupante de la demeure - exprimées par l’écriture alphabétique - et certaines images de sa vie, de ses occupations et de son cadre - manifestées par des idéogrammes photographiques - auxquelles se superposent des notations multi-signiques qui, comme des commentaires sur des commentaires surprécisent, sous un angle neuf, des points particuliers. Ces trois strates de transcription, se conjuguant pour, finalement, n’en constituer qu’une : la super écriture hypergraphique. Toutes ces données accumulées, certainement, déroutent : au déchiffrement de chacun des chapitres, l’allure apparemment simple du discours général demeure contredite, réévaluée, par l’hermétisme de ce qui nous est donné pour l’expliquer. De toute façon, et même si nous ne sommes que quelques-uns à savoir que l’essentiel est ailleurs, n’estce pas de ce recours constant à ce paradoxe ou à cette dialectique que naît, comme une véritable manoeuvre de force, l’originalité étrange de ce Roman lettriste de la Villa Cernigliaro ?
La question, si elle peut encore se poser aujourd’hui, risque dans l’avenir, avec Anne-Catherine Caron et le lettrisme, de ne plus même devoir nécessiter de réponse. »
(Roland Sabatier, extraits du catalogue)
ROMAN LETTRISTE DE LA VILLA CERNIGLIARO
VILLA CERNIGLIARO
Via Clemente Vercellone 4, Sordevolo Bi
EXPOSITION DU 5 NOVEMBRE AU 4 DÉCEMBRE 2011
vendredi, samedi, dimanche 14,30 - 19,30 h. et sur réservation
VERNISSAGE: LE 5 NOVEMBRE À 18 H.
A l’occasion du vernissage intervention de l’artiste : La Méca-esthétique dans le roman.
Direction artistique : Carlotta Cernigliaro
21 x 14,5 cm (broché).
82 pages, 30 illustrations coul.
N&B. Textes de Roland Sabatier
Carlotta Cernigliaro, Isidore Isou (Les moyens de réalisations dans l'art plastique lettriste et infinitésimal).
Editions Zero Gravità, Sordevolo, Bi, Italie,
2011.
info Carlotta Cernigliaro
T. 0152562174 mobile 338.6130616